Le montage

« Le montage, au fond, c’est comme une forme de réalisation. »

Argh! Je déteste cette phrase toute faite, qui insinue qu’en cinéma ou en télévision, tout ce qui n’est pas de la réalisation serait dépourvu de créativité. Le montage, c’est du montage et oui, ça implique des décisions créatives importantes qui affecteront directement le résultat final d’une production. C’est le moment crucial où vos heures de « rushs » se transforment en film.

Surtout, le monteur est un des collaborateurs essentiels du réalisateur, celui qui doit faire de son mieux pour aboutir le projet en restant fidèle à la vision de départ, et en visant le meilleur résultat possible. Les réalisateurs de Kino sont souvent aussi leurs propres monteurs. C’est un excellent apprentissage! Mais éventuellement, il peut être intéressant de confier notre matériel à un monteur en qui on a confiance, qui pourra apporter un second regard au film, et possiblement l’amener plus loin.

Je monte des images depuis 12 ans, et bien que je sois encore et toujours en apprentissage, voici cinq notions que j’aurais bien aimé savoir dès le début.  Voici donc, sans plus tarder…

5 choses que j'ai comprises en faisant du montage

#1 . Conserver l’essentiel

Un des pièges les plus communs lorsqu’on débute en montage est de suivre le scénario à la lettre. Un esprit de synthèse bien développé est une des plus belles qualités qu’on peut partager avec notre réalisateur. Aiguisez votre œil pour identifier rapidement les répliques non-nécessaires, les redites, les temps morts, bref, tout ce qui peut briser le rythme, perdre le spectateur, et qui peut être coupé.

Gros plan d'une cut standard.
(ceci est une cut)

On pourrait aussi dire d’aller au plus court, mais attention : chaque film dicte son propre rythme. Un film plus contemplatif ne se découpe pas à la même vitesse qu’un film d’action avec des CHARS qui vont VITE, admettons. Par-contre, un montage qui “respire” n’est pas la même chose qu’un montage bourré de temps morts. Analysez la fonction de chaque plan et, lorsqu’un plan a rempli son rôle, hop! On passe à autre chose.

Astuce: demandez à lire le scénario, et essayez de repérer d’avance les éléments superflus. Suggérez des coupes au réalisateur: ça lui sauvera du temps au tournage, et vous simplifiera la vie au montage.

#2. Écouter les « rushs » (ils vous parlent!)

Une erreur que j’ai longtemps commise était de me faire une idée du découpage dès la lecture du scénario, comme un petit film dans ma tête. Dramatisation :

Stéphane et Gisèle au restaurant.

« On arrive au restaurant, plan WIDE pour établir les lieux. On coupe au CLOSE UP de Stéphane quand il commence à parler de ses obligations d’épargne. CUT à Gisèle quand elle prend une bouchée de ragoût. INSERT de fourchette!! » Etc.

Se faire une telle idée d’avance est une mauvaise idée, puisqu’elle risque de vous faire passer à côté des plus beaux éléments que contiennent les « rushs ». Arrivez plutôt avec l’esprit ouvert et, lors du visionnement du matériel, notez les moments les plus forts captés au tournage. Puis, orientez votre découpage en fonction de ces moments, en essayant de maximiser l’impact de chacun d’entre eux.

Quand Stéphane dit à Gisèle « Watch out, l’Hydro s’en vient poser le compteur intelligent », il est peut-être plus intéressant de voir la réaction abasourdie de Gisèle, plutôt que de regarder Stéphane parler. Le plan large serait peut-être plus efficace à la fin de la scène, pour donner un sentiment d’isolement au couple. Vous voyez le genre.

Aussi, évitez les montages “girouette” qui virevoltent sans arrêt à travers toutes les valeurs de plan filmées. Si le plan large ne sert qu’à établir les lieux, pourquoi y revenir par la suite? Essayez de trouver le plan qui appuie le mieux chaque moment de chaque scène.

#3. Garder du recul

Vrai, en montage, vous êtes l’allié du réalisateur. Mais vous êtes également le premier spectateur d’une œuvre, et en ce sens, vous avez le devoir d’être critique envers le matériel tourné. Évitez de vous laisser impressionner par des facteurs extérieurs, en particulier ce qui s’est passé au tournage.

  • « Ce plan a nécessité 28 prises et 3 heures de tournage. »
    Il n’est ni tout à fait réussi, ni essentiel. On le coupe.

  • « Ce personnage est joué par une fillette de 6 ans qui a travaillé fort pour apprendre son texte par cœur. »
    Son apparition ralentit le rythme de la scène, et elle joue faux. Out.

  • « J’ai loué une RED EPIX 200K 18M pour faire ce dolly-out de MALADE! »
    Ce n’est pas cohérent avec le reste du découpage. Hop, poubelle!

Montage_DOP

Je caricature, mais vous comprendrez le point. Lorsque vous faites des choix au montage, ne vous laissez pas influencer par des informations qui ne se rendront jamais aux oreilles des spectateurs.

#4. Les erreurs sont permises

Votre priorité en tant que monteur est de préserver la cohésion et la crédibilité du film. Parfois, il arrive que la meilleure prise au niveau du jeu est celle où l’actrice a oublié de s’attacher les cheveux, ou celle où on voit l’ombre du perchiste. Ça, c’est plate. Mais si vous n’avez vraiment pas de meilleur choix et que vous avez besoin de cette prise pour que l’émotion passe, il faut la prendre.

Idem pour les faux raccords, les saut d’axes et les “eyeline” qui fonctionnent mal. Évidemment, il est essentiel de connaître tous ces codes pour en être conscient lorsqu’on choisit de les enfreindre.

Si vous ne me croyez pas, allez regarder un film; pas mal n’importe lequel. Tiens, un que j’ai vu récemment : The Wolf of Wall Street. Bourré d’erreurs de continuité et de faux raccords. Est-ce que le public s’en rend compte? Non, pas vraiment. Est-ce que le film en est plus faible? Au contraire, le montage est parfait, le rythme nous plonge tête première dans le film.

De toute façon, le travail d’un monteur est particulièrement réussi lorsqu’il parvient à se faire discret, et qu’il réussit à faire oublier au spectateur qu’il regarde un film.

#5. Regarder son travail du “bon œil”

Aucun spectateur ne verra le film aussi souvent que vous. Aussi, il est facile de perdre le focus à la longue, et de commencer à changer des choses dans le montage pour les mauvaises raisons.

Personnellement, j’essaie d’éviter les sessions de 30 écoutes d’affilée ; elles sont épuisantes, et on n’écoute plus de la même manière à la fin. J’essaie plutôt de glisser des écoutes dans ma routine quotidienne, dans différents contextes. Le matin, un peu endormi, intrigué. L’après-midi, après un gros café, focusé. Le soir, en me brossant les dents, distrait. J’essaie juste de me détacher de mon regard de monteur et me rapprocher de celui du simple spectateur, qui ne sera pas obsédé par chaque micro-détail.

Montage_Ecran

Ma méthode est loin d’être infaillible, et elle n’est pas toujours possible. Pour un meilleur regard d’ensemble, rien ne vaut un “test screening”, ou le regard d’un public extérieur sur un projet en cours peut vous amener de précieuses pistes de réflexion.


Ayant dit tout ça, j’aimerais ajouter qu’en montage, comme dans bien d’autres disciplines, toute la théorie du monde ne vaut pas l’apprentissage que la pratique peut vous apporter. Si vous n’avez jamais rien monté, allez filmer n’importe quoi dans la rue et essayez de construire quelque chose. Accumulez vos “heures de vol” devant le logiciel de montage de votre choix, car c’est la seule manière de développer votre regard et de vous faire la main. Parce qu’au final, être monteur, ce n’est pas seulement de savoir se servir de Final Cut.

Mais tant qu’à y être, apprenez quand même vos raccourcis clavier.
Ça épate toujours la galerie.

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